Pig Boy 1986-2358

PIG BOY 1986-2358
GWENDOLINE SOUBLIN

Pièce écrite à Lyon, entre avril 2016-avril 2017
La première partie de Pig Boy 1986-2356 est une commande de la Sala Beckett dans le cadre de l’Obrador d’Estiu de Barcelone.
Il fait partie de la sélection 2018 du festival Mange ta Grenouille ! de Prague en République Tchèque.
Le texte intégral a reçu le prix des Journées de Lyon des Auteurs de théâtre 2017.
Publication par les Éditions Espaces 34 / janvier 2018
Traduction intégrale en tchèque, traductions partielles (première partie) en catalan par Gemma Beltran et en anglais par Simon Scardifield

Resumé

Pig Boy 1986-2358 est un texte-gigogne en trois parties.
La premi7re partie raconte l’histoire d’un jeune éleveur de porc français en proie à la crise agricole des années 2010 et qui se rêve Cow-Boy plutôt que Pig Boy. La deuxième imagine Pig Boy, porc-star de la marque de jambon PERTA et descendant direct d’un des porcs de cet éleveur breton, qui est accusé d’avoir copulé avec une fan Japonaise, et qui se retrouve sous le feux des projecteurs à l’occasion d’un procés médiatique virtuel où le public peut décider de son sort. La dernière partie propose une échappée vers un futur onirique. Nous sommes dans la tête d’une truie qui s’échappe d’une maternité dans laquelle elle mettait bas à des bébés humains. C’est l’histoire de sa fuite vers la forêt – et c’est l’histoire de la réconciliation des trois histoires où bêtes et hommes se cherchent une raison d’être, au milieu des flux technologiques et la montée du transhumanisme.
Quitte à inventer une nouvelle espèce?

Note d’intention

En juillet 2016, j’ai été invitée à participer à la résidence de l’Obrador d’Estiu de la Sala Beckett de Barcelone. Dans ce cadre, j’ai dû répondre à la commande d’un texte court autour de la thématique du pouvoir. De là est née la première partie de Pig Boy 1986-2358 et l’envie de déplier une colère naissante dans un texte plus ambitieux.
Cette colère, d’où vient-elle? De mes racines. Je suis petite-fille d’agriculteurs bretons. Et si mes grands-parents sont aujourd’hui retraités et la ferme inexploitée, il n’empêche que mon histoire familiale trouve des échos dans l’actualité récente. Depuis quelques années en effet, l’agriculture française traverse une crise sans précédent. Le cours du lait est en chute libre, celui du porc aussi, et chaque jour, un à deux agriculteurs mettent fin à leurs jours, dépassés par une PAC et un ministère de l’Agriculture qui les laissent exsangues, endettés et désespérés – eux qui aiment pourtant leur métier. C’est d’abord de cela dont j’ai voulu parler : de cette agriculture moderne qui dans les années 60 a connu son heure de gloire mais qui maintenant, à force de compétitivité et d’industrialisation, a fini par appauvrir ses fils de la terre (beaucoup vivent avec le RSA) et leur a donné une place moindre dans notre société. Cette maltraitance, nous la retrouvons aussi du côté des animaux d’élevage et de leur condition de vie. La société de surconsommation a engendré des bêtes malades, entassées et tuées avec peu d’égard – il s’agit de rentabiliser plutôt que prendre soin. Un même champ sémantique se dessine, du côté des hommes comme des bêtes, celui de l’oppression.
Bien des scientifiques et des géants de la Silicon Valley pensent désormais l’avenir avec une perspective transhumaniste très éloignée de la nature – de laquelle, disent-ils, nous pourrions nous émanciper. La mort est une maladie dont il faut comprendre comment guérir. Ici la bio-science a pris le pas sur l’industrie, comme avant l’industrie avait pris le pas sur les outils. Les agriculteurs – hommes premiers – deviennent les figures has-been d’un âge de pierre que les gourous modernes disent révolu. Penser les technologies et les animaux revient à penser notre identité. Notre « nature ». Notre devenir, donc.
Car à quoi bon l’agriculture si l’on peut faire de la viande synthétique? À quoi bon le cochon s’il n’est d’aucune utilité pratique, gustative? À quoi bon la vie réelle si la vie virtuelle, les NBIC (Nanotechnology, Biotechnology, Information technology and Cognitive science) peuvent constituer une nouvelle façon d’être vivant? C’est quoi, « être vivant »? Quelle est notre histoire fondatrice ? Comment un système en chasse un autre? Quelle légende s’imprimera dans les médias – et dans la future Bible ?
Ce sont toutes ces questions que j’ai souhaité soulever au travers d’un texte-gigogne qui traverse trois temps, trois registres de langues, trois réalités, trois virtualités. Ces trois histoires n’en sont en fait qu’une seule : celle d’un personnage symbolique, Pig Boy, qui lutte contre un système sélectif écrasant et tente de définir son « identité » au milieu d’un monde uniformisé et qui élimine de façon quasi eugéniste ceux qui ne correspondent pas au modèle dominant, à l’espèce dominatrice.

Cochons et hommes, même combat pour leur survie ?

Gwendoline Soublin

Née en 1987, Gwendoline Soublin se forme d’abord comme scénariste à Ciné-Sup, Nantes. Puis elle poursuit des études au Conservatoire d’Art Dramatique du 18ème à Paris. Parce qu’elle aime s’investir dans des aventures multiples elle a entre autres : animé des ateliers d’écriture, joué sur des places de village, pratiqué l’art-thérapie en tant que clown auprès de patients âgés atteints d’Alzheimer et cérébro-lésés, écrit pour le webzine Rhinocéros, chroniqué sur une radio associative de Montreuil, créé le collectif M’as-tu vu? et semé des graines de rêverie lors de voyages ou en participant à nombreux festivals de cinéma…

En 2014, elle a reçu l’aide d’Encouragements du CnT pour sa deuxième pièce, Swany Song, et en 2015 elle a été accueillie à la Chartreuse-CNES – pour y écrire une pièce jeunesse, Les Monstres, lue pendant La Belle Saison. L’été 2016, elle a fait partie de l’Obrador d’Estiu de la Sala Beckett à Barcelone pour laquelle elle a écrit un texte traduit en anglais/catalan, Pig Boy 1986-2358 (Lauréat des Journées des Auteurs de Lyon 2017 / publication par Espaces 34 en janvier 2018 / sélection par le festival tchèque Mange ta grenouille!). L’un de ses derniers textes, Vert Territoire Bleu, a été lauréat du label Jeunes Textes en Liberté (mise en espace Hakim Bah, en partenariat avec la MC93) et du comité de lecture Le Plongeoir du Glob Théâtre de Bordeaux. Elle travaille également avec des marionnettistes de l’ESNAM (Coca Life Martin 33CL / publication aux éditions Koïné en octobre 2017) et la Collective (120H / représentations à la NEF-PANTIN, Festival international de la marionnette de Charleville-Mézières…). Ce printemps 2017, elle a été en résidence au théâtre Am Stram Gram de Genève pour y écrire un texte jeunesse, Qu’on va où ?. Ses textes sont également édités par Drameducation (Une poule sur un mur et Harmonie Pilote in Tome 3 et 4).

En 2017-18, elle fera partie du projet TOTEM(s) initié par la Chartreuse-CNES où elle travaillera à l’écriture de maquettes d’opéra en partenariat avec des compositeurs européens pour les Journées d’été du festival d’Avignon 2018. Elle rejoindra également l’équipe des autrices performeuses de F3, Solenn Denis, Aurore Jacob et Julie Ménard, en résidence au 104 puis en représentations à La Loge en février 2018.

En cette rentrée 2017, elle travaille à l’écriture d’une nouvelle pièce, PUCELLE, autour de la figure de Jeanne d’Arc – mise en scène Marion Lévêque. Et est également chargée de cours aux université de Paris-Nanterre et Valence où elle donne des ateliers d’écriture.

Depuis 2015, elle est étudiante au sein du département Écrivain Dramaturge à l’E.N.S.A.T.T. de Lyon.

Autres pièces remarquées en 2018

 

AUTRES PIECES REMARQUEES
EURODRAM 2018

Au delà des quatre pièces retenues dans son palmarès 2018 et au terme d’un choix très difficile, le comité francophone souhaite également recommander ces pièces que l’ensemble des lecteurs ont vivement appréciées.

 

POINGS
Pauline Peyrade

Date d’écriture : 2015-2016
Editions Solitaires Intempestifs (novembre 2017)
Lecture au Forum des nouvelles écritures dramatiques européennes de Bruxelles
Création programmée au Préau CDR Vire (2018)
Traduction partielle en espagnol (Partie est)

Poings est un polyptique qui raconte un combat pour le ressaisissement de soi après une séparation amoureuse. La pièce travaille les motifs de la rupture et de la désorientation au cœur de la mémoire traumatique à la fois dans le fond et par la forme. Elle se compose de cinq parties, pour cinq moments de l’histoire d’amour, de la rencontre à la séparation, racontés selon le point de vue d’une femme en état de choc qui tente de trouver du sens à son histoire. Afin de rendre sensible sa perte de repères, les parties proposent chacune une forme en rupture avec les autres et sont agencées dans une chronologie bouleversée. En sous-texte, les questions de l’interdépendance, de l’aliénation, de la violence quotidienne et consentie, cet endroit trouble qui unit deux personnes qui s’aiment à couteaux tirés, mais qui s’aiment quand même.

 

TIAMAT
Ian de Toffoli

Année et lieu d’écriture : Luxembourg, 2016-2017
Année et lieu de sa création : Mars 2018, Théâtre du Centaure, Luxembourg
Comités de lecture qui l’ont recommandée : Théâtre du Centaure de Luxembourg, CDN du NEST de Thionville

Sur le seuil d’un bar de quartier, il est là. Il pousse la porte bizarrement attiré par son enseigne – un lézard. Il est le dernier client, demande qu’on lui serve encore un verre. Il dit redouter devoir rentrer chez lui, redouter la question quotidienne de sa femme sur le déroulement de sa journée, car il devrait lui répondre que, aujourd’hui, il a conclu un deal inhabituel. Il dit être avocat d’affaire, appartenir à un autre monde caché derrière les murs des grands cabinets ou des ports francs. Il dit appartenir à cette classe qui s’enrichit malgré la crise, malgré les restrictions, malgré les guerres, alors que le reste de la population s’appauvrit.

 

PUTREFIÉS
Veronika Boutinova

Pièce écrite en 2016 en résidence la villa Marguerite Yourcenar
Bourse conseil général du Nord
Finaliste prix de Guérande 2017

Putréfiés se veut un hommage aux cadavres des migrateurs pourrissant au fond des mers, elle est un mausolée offert à tous ceux qui ont risqué le pire pour tenter une vie meilleure. Putréfiés donne la parole à ces voyageurs invisibles, dont nous ne pouvons que deviner l’agonie, tandis que nos dirigeants se demandent s’ils peuvent les accueillir.
Sous l’égide d’Archimède de Syracuse qui traverse l’espace-temps pour évoquer ses découvertes scientifiques aquatiques, la pièce de Veronika Boutinova est avant tout une fable poétisée, celle de la jeune Magda qui entend par le biais de sa chevelure immense flottant dans la Manche les voix des migrateurs noyés dans les mers européennes. Une voix précisément réclame la jeune bénévole calaisienne, celle d’un homme qui flotte en Méditerranée, qu’elle décide de retrouver. Magda et son frère Baptiste, enfin enclin à l’engagement actif, parviennent à Lesbos, où ils aideront les volontaires à sauver les naufragés ou à réconforter les rescapés. Ils découvriront que la voix du noyé qui hante Magda est celle d’un Syrien mort, flottant au-dessus des corps de sa femme et de sa fillette, soucieux d’être déposé dans le fond de la mer pour les retrouver.

 

NO BORDER
Nadège Prugnard

Pièce écrite entre 2015 et 2017 notamment dans La Jungle de Calais
Résidences d’écritures : Le Channel à Calais, La Comédie de Béthune, La Chartreuse
Publication en cours et négociation avec les éditions Al Dante
Plusieurs lectures publiques et mises en espace à Villeneuve lez- Avignon, Béthune, Montluçon, Clermont-Ferrand, Paris, Marseille ….)
Création en novembre 2018 par la cie HVDZ dirigée par Guy Alloucherie

No Border est un texte inspiré d’un travail d’écriture de terrain que j’ai mené pendant deux ans à arpenter la « Jungle » de Calais à la rencontre des exilé(e)s hommes et femmes qui fuient la guerre et la dictature dans leurs pays et qui espèrent trouver asile en Europe. No Border est un poème ininterrompu, pensé pour 1 ou 15 ou X (acteurs chanteurs danseurs et circassiens), un monologue pluriel et haletant imaginé comme la flamme fragile que se passe de main en main les coureurs de marathon.

 

L’ATOME
JULIEN AVRIL

Pièce écrite à Paris entre 2011 et 2014.
Création à Toulon, novembre 2017
Reprise au Théâtre de Belleville du 6 au 10 décembre 2017
Lauréate de l’aide à la création pour les dramaturgies plurielles d’ARTCENA.

Dans un espace entre bunker, laboratoire et squat d’artistes, quatre personnes se documentent, s’interrogent et représentent les liens entre l’humanité et la radioactivité. Tchernobyl, l’atelier des Curie, le bombardier Enola Gay, le village de Plogoff sont tour à tour leur terrain de jeu et de questionnement. En présentant des documents tels quels ou élaborés de manière poétique et théâtrale, ils invitent le public à entrer en réaction avec cette matière instable, explosive et controversée.

 

BERLIN SEQUENZ
Manuel A Pereira

Editions Espace 34 (2017)
avec le soutien du centre Wallonie-Bruxelles

Jeunes berlinois contestataires, ils refusent de demeurer les spectateurs du monde et mènent des actions solidaires pour devenir les acteurs de sa transformation. Mais chez certains d’entre eux, la révolte pousse à des extrémités que le collectif voudrait éviter. D’un côté ceux qu’on rangerait dans le camp alter-écolo et de l’autre ceux qui sont proches du black block ou du comité invisible français. Opposition entre des « révolutionnaires » pragmatiques et un peu embourgeoisés et Jan plus romantique, théorique et entier jusque dans ses contradictions.

 

UN DEMOCRATE
Julie Timmerman

Ecriture 2015-2017 à Paris
Lectures à la Maison des Métallos en novembre 2015, à Confluences en mars 2016 et au Rond-Point dans le cadre de la Piste d’envol en avril 2016.
Recommandation A Mots Découverts, Comité de lecture du Théâtre du Rond-Point
Création en 2016 au centre culturel Aragon Triolet d’Orly

Eddie vend du savon, des pianos, des cigarettes. Non, il ne vend pas : il fait en sorte que les gens achètent. Eddie est américain, neveu de Freud et inventeur des Relations Publiques – une méthode de manipulation des masses sans précédent. Il fait fortune quand partout c’est la crise, organise des coups d’Etat et conseille les puissants, ses ouvrages inspirent même la propagande nazie… mais Eddie se proclame toujours démocrate. Que reste-t-il de la Démocratie à l’ère du Big Data et de l’hyper-communication ?

 

ARTHUR ET IBRAHIM
Amine Adjina

Texte écrit en 2017
Lauréat de la bourse Beaumarchais – SACD 2017.
Création au Tarmac en janvier 2018 et tournée jusqu’en avril
Editions Actes Sud Papier 2018.

Pour satisfaire aux souffrances et angoisses de son père, persuadé de ne pas être aimé par les français, le jeune Ibrahim arrête de jouer avec son copain Arthur parce qu’il n’est pas arabe. Arthur ne comprend pas cette décision et refuse cet état de fait. Alors, tous deux imaginent une chose folle : la transformation d’Arthur en arabe.

 

GENS DU PAYS
Marc-Antoine Cyr

Pièce écrite en 2016-2017 à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon
Bourse d’écriture du Centre National du Livre en 2016.
Finaliste du prix Laurent Terzieff du Théâtre Lucernaire en 2017.
Lectures publiques par la cie Épaulé-Jeté à l’Espace Renaudie d’Aubervilliers, au Théâtre de la Huchette et au Théâtre Lucernaire à Paris.

Un garçon coincé dans un bureau de police. Retrouvé paumé dans la rue sans papiers, sans argent sur lui. Refusant de jouer le jeu. Ce même garçon dans sa classe. – Son professeur veut qu’il parle de lui, de sa France à lui, de son pays d’origine. Mais lui, il vient du coin de la rue. Refusant de jouer le jeu. Déchiré entre ce qu’il est, ce qu’il voudrait être et ce qu’on voudrait qu’il soit, Martin Martin cherche sa voie.

Assemblée Générale à Lisbonne 2017

L’Hôtel Sana Lisboa se dresse à la manière d’une haute forteresse de luxe non loin de la place Marquis de Pombal. De ma fenêtre au neuvième étage, je regarde pour la dernière fois la ville hérissée de grues et le Tage, enveloppé d’un léger voile de brume, tout au fond du vallon découpé dans les collines de Lisbonne par le quartier de la Baixa. De part et d’autre, sur ses hauteurs, la cité se déploie avec ses beaux immeubles anciens et ses églises baroques, ses quartiers pittoresques… A gauche, en dépit de la distance, on distingue parfaite- ment les remparts du Castelo et les drapeaux qui flottent au dessus de ses créneaux. A leur pied, se situe le Théâtre Taborda qu’on cherche vainement du regard pour un dernier salut.

Trois jours se sont passés depuis notre arrivée pour cette quatrième assemblée du réseau Eurodram et comme les précédentes années, la question demeure de savoir comment les raconter en respectant un minimum la studieuse réalité de nos réunions, tout en se laissant guider par la pénétrante poésie de son lieu de résidence. Et à vrai dire, sous cette lumière matinale, on se sent davantage porté par l’esprit de vagabondage, par le parfum si particulier de la capitale portugaise.

Alors, bien évidemment, on ne pourra pas éviter d’évoquer le quartier d’Alfama et ses venelles en pente rapide, aux pavés si usés qu’ils en précipitent la descente. Un ascenseur public permet de s’épargner cet éventuel périple, lorsqu’au terme d’hasardeuses divagations, on parvient à le repérer, au grand soulagement de ses jambes.

Dans un rapide tour d’horizon des images imposées, on ne ne pourra pas non plus éviter de mentionner les célèbres tramways rouges ou jaunes qui ferraillent dans les ruelles tortueuses, suspendus à leur perche comme de funambules araignées. A chacune de leurs fenêtres, se découpent les visages de visiteurs réjouis dont le parfait alignement évoque malicieusement un théâtre de marionnettes. A leur trafic, s’ajoute celui des taxis noirs et verts et la longue procession des tricycles, homologues lisboetes des touk-touks asiatiques, qui sillonnent en grand nombre le dédale historique des quartiers populaires en quête d’émotions touristiques et de découvertes programmées. Ils longent en silence les façades délabrées de vieilles habitations couvertes d’azuleiros en partie décollés et de balcons en fer forgé qui

commencent à rouiller. Des graffitis et autres tags envahissent ça et là les ruines d’anciennes bâtisses déshabillées de leurs toitures et d’une partie de leurs huisseries.

Pour la mémoire, on évoquera quelques édifices remarquables qu’on ne prendra pas le temps de visiter ou les mosaïques de pavés, sobrement noirs et blancs, qui ornent les trottoirs et les parvis des places et dont le miroitement lustré fait penser qu’il a plu quand la nuit est tombée. Et puis, pour les gourmands, on mentionnera enfin les restaurants de poissons grillés, les iconiques sardines, les morues cuisinées à toutes les sauces du Portugal ou encore les pasteis de natas, ces tartelettes à la crème qui font figure de véritables spécialités pâtissières de la ville. A Lisbonne, c’est acquis, on monte et on descend et on use ses semelles. Mais au terme de sa déambulation une seule question s’impose : comment ne pas aimer Lisbonne ?

La même question se pose concernant le Théâtre Taborda. Comment ne pas aimer ce théâtre incroyable perché sur quatre étages juste avec ses larges baies vitrées qui s’ouvrent, tant au niveau du bar qu’a ceux des salles de réunion, sur un panorama imprévisible de la vieille ville ? Comment, dans le même esprit, ne pas apprécier l’accueil qui nous est fait par Maria et Carolina? Comment ne pas se réjouir de se retrouver une nouvelle fois après Pristina, Sofia et Istambul et de constater que les choses avancent dans la bonne direction ? Que toutes ces énergies patiemment associées sont en train de construire un véritable réseau au dessus des frontières et cela sans moyens ou presque, en dehors de la mainmise des institutions ?

Jeudi 21 septembre

Mais revenons trois jours plus tôt. Tout commence jeudi dernier dans un Aérobus en compagnie de Jeton, le coordinateur du comité albanais. Le hasard a voulu que nous prenions le même avion et l’amitié que nous choisissions de poursuivre le chemin ensemble. Nous sommes donc dans l’Aérobus, la navette aéroportuaire de Lisbonne, et découvrons un paysage urbain moderne qui n’a rien de commun avec les images de la ville précédemment décrites. Il est près de 17h et d’évidence, nous serons en retard à la première réunion de l’AG. Avant de nous y rendre, il nous faut dénicher l’hôtel, régler les formalités hôtelières, déposer nos valises et arrêter un taxi avec l’aide d’un souriant portier. Taxi qui nous emmène dans un labyrinthe de ruelles plus ou moins escarpées et nous dépose, un peu perdus, devant la porte d’un bâtiment qui au premier regard, ne ressemble guère à un théâtre.

La réunion est commencée depuis un bon bout de temps et c’est l’heure de la pose. Laquelle a fait descendre toute l’assemblée de deux étages, au bar. Thé, café, pâtisseries, fauteuils en rotin, terrasse pour les fumeurs et échanges de salutations. Ce plaisir simple des accolades et des sourires de bienvenue. Il y a là Dominique, bien sûr, le coordinateur général, nos hôtesses portugaises Maria et Carolina et les représentants de plusieurs comités que je crains de ne pas pouvoir tous nommer : Wolfgang, Nicole, Henning du comité allemand, Frédéric du comité italien, Hakan notre hôte à Istanbul, Andreas du comité grec, Lilach et Nohar du comité hébreu, Sarah du comité anglais, Gergana et Vasilena du comité bulgare, Amin du comité arabe et Tiana, la nouvelle coordinatrice du comité BCMS… j’en oublie sans doute. Il ne semble manquer qu’Ulrike et Anna qui nous rejoindront plus tard.

La pose étant finie, nous nous retrouvons dans la salle de réunion, pièce vaste et lumineuse, où se poursuit la réunion. L’objectif est de présenter rapidement la dernière sélection de trois pièces effectuée par chaque comité. Chacun dispose de cinq minutes pour s’acquitter de cette tâche qui se double par ailleurs d’un document écrit. Mais le but est également de faire part de sa démarche, de ses éventuels critères de choix et des difficultés de réunir les textes quand ces difficultés se présentent. Alors, il peut se produire que les cinq minutes soient dé- passées ou que des questions émergent… Néanmoins la réunion ne s’éternise pas car le pro- gramme de la soirée impose le respect des horaires.

Il y a tout d’abord un repas de bienvenue organisé au bar sous forme de buffet. Occasion de bavarder avec quelques amis de choses plus ou moins importantes et d’apprécier, plus que nécessaire, le vin blanc portugais, tout en se laissant happer à travers les fenêtres par le panorama urbain où il reste difficile de repérer notre chemin. Cette aimable collation se pour- suit par une lecture publique dans un auditorium à l’étage supérieur. Trois actrices dont Ma- ria proposent de faire entendre Cindirella, une pièce bulgare de Gergana traduite en portugais. L’exercice de l’écoute est assez délicat mais l’énergie des trois lectrices communique une certaine émotion d’autant qu’elles se sont équipées de plusieurs accessoires pour rendre la lecture ludique et que régulièrement, elles se lèvent de leur table pour présenter à l’auditoire des photos de personnalités féminines. La musique de la langue est plaisante à l’oreille. Et à défaut de comprendre réellement quelque chose, on se laisse agréablement séduire, sans ennui ni regret.

Après la lecture, nous attendons un taxi pour rentrer à l’hôtel quand un jeune homme s’adresse à nous en français: « Vous avez compris quelque chose ? » Notre réponse ne le surprend pas et une discussion s’engage. Ce garçon d’origine ukrainienne est étudiant à l’université de Lisbonne où il prépare un master de traduction. Il a vécu de longues années de son enfance en Angola où il a poursuivi ses études au lycée français, d’où sa connaissance des trois langues. Disposant du véhicule paternel, il nous propose aimablement de nous reconduire à l’hôtel. Et il nous offre, pour l’occasion, notre première promenade nocturne à Lisbonne avec l’assistance de son GPS.

Vendredi 22 septembre

Une longue journée de travail nous attend et nous nous sommes levés de bonne heure. Dans la salle de petit déjeuner, au deuxième sous-sol de l’hôtel, les coordinateurs Eurodram se sont répartis autour de deux ou trois tables et les conversations ne sont pas toutes professionnelles. La salle de restaurant envahie de touristes en short et tenues d’été, le ballet incessant des serveurs et les comestibles disponibles dans les vitrines réfrigérées invitent à se ménager un court instant de détente.

Histoire de s’aérer et de bénéficier du paysage urbain, nous décidons avec Frederic de nous rendre au théâtre à pied. Une bonne demie heure de marche en empruntant sur toute sa longueur l’Avenue de la Liberté.

Sur la place des Restauradores, nous retrouvons Henning qui sort d’une station de métro et en sa compagnie, nous rejoignons au jugé une des ruelles en escaliers qui grimpent vers le Castelo. A pied, l’itinéraire me semble beaucoup plus simple que ceux empruntés la veille et qui m’avaient désorienté.

La première rencontre de la matinée, programmée à 10 heures, a lieu dans la même salle de réunion. Il s’agit à présent de parler davantage du fonctionnement de chaque comité, de ce qu’il a pu faire ou non, de ses difficultés diverses, de ses projets, de ses attentes… Inventaire nécessaire qui s’achève par une longue discussion sur les obligations de chacun et sur les possibilités d’entre-aide via le réseau.

Pause déjeuner tardive. Wolfgang a déniché un petit restaurant dans le Barrio Alto, à environ vingt minutes de marche et propose de nous y conduire. Il nous vend si bien son affaire que, Frédéric et moi, sommes tentés de le suivre malgré le peu de temps dont nous disposons. Nous ne le regrettons pas. L’établissement est un de ces bistrots sans prétention gastronomique, fréquentés uniquement par des travailleurs du quartier et la cuisine s’y montre aussi généreuse qu’authentique. Et le rapport qualité-prix est largement indiscutable, tout comme l’est notre dépaysement. L’estomac plein, c’est d’un bon pas que nous remontons jusqu’au théâtre et l’ascenseur public s’avère le bienvenu.

Les échanges se poursuivent durant l’après midi jusqu’à environ 19h car la salle doit être libérée pour une nouvelle lecture publique. Ecourtés, ils n’en sont pas moins productifs et portent principalement sur les moyens de dynamiser et d’étendre le réseau: créer de nouveaux comités, favoriser les échanges et les traductions, concerner davantage les comités en sommeil…

Toutes ces discussions en anglais ont largement entamé ma capacité d’écoute et avec Viviane qui m’attend au bar du théâtre, je décide de m’éclipser pour aller marcher jusqu’au Tage et flâner dans le quartier de la Baixa au risque d’être alpagué par un rabatteur de restaurant. Et c’est effectivement ce qui se produit.

Retour à pied à l’hôtel, dans la nuit tiède de Lisbonne. Sur la place Rossio, un défilé de mode se prépare au bord de la fontaine et de ses belles statues éclairées et Le Roi Lear est à l’affiche du Théâtre National Dona Maria.

Samedi 23 septembre

Au cours d’un bref échange avec Dominique et Ulrike dans un petit bistrot juste en face du théâtre, je les informe de mon intention de ne pas participer à la réunion de la matinée consacrée aux histoires de budget, afin de discuter en tête à tête avec Amin qui semble un peu perdu dans l’organisation de son comité arabe. Amin accepte l’invitation et nous nous retrouvons au bar. Nous essayons de voir ensemble comment je peux l’aider, préciser certains points et même ouvrir des pistes pour essayer de dénicher des textes arabophones. Sa principale difficulté étant liée au fait que nombre des auteurs maghrébins continuent à écrire en français pour s’assurer une plus large écoute et pour déjouer la censure, fréquente dans leur pays. C’est une conversation sereine et franche, soulagée des tensions qui ne manquent pas de s’exprimer lors des échanges collectifs.

Cette fois, la pause du déjeuner est vraiment trop courte pour envisager de redescendre dans notre cantine ouvrière du Barrio Alto et nous sommes nombreux à jeter notre dévolu sur l’établissement le plus proche qui donne dans la cuisine bio internationale. Jus de citron et taboulé chaud, service au ralentis, ambiance confinée et néanmoins détendue. Rien à voir avec l’animation travailleuse de la veille.

La dernière séance de l’après-midi est porte sur l’organisation de la prochaine assemblée générale, laquelle devra se tenir à Tel Aviv à l’invitation de Lillah et du comité hébreu. Avant la tenue d’un débat, en portugais et en anglais, au sujet de la traduction théâtrale, ont lieu les traditionnelles séances de photo sur la terrasse. Et les sourires témoignent de la satis- faction générale et du constat effectué par chacun des progrès du réseau Eurodram.

Petite vadrouille dans le quartier, histoire de collecter quelques images pour alimenter cette chronique. L’air frais de la fin de journée s’écoule sous les arbres qui bordent les hauts murs du château et les terrasses en belvédère profitent des derniers rayons de soleil tandis que toutes les langues se mêlent dans l’ivresse toute relative d’un verre de Vino verde ou d’une bière locale. Tout en bas, sur le Tage, un paquebot de croisière jette un appel de corne de brume pour inviter ses passagers à rejoindre le bord. Une assiette de morue grillée au restau-rant du Chapitô avec panorama romantique et soleil couchant sur le Tage conclue cette échappée touristique.

La journée se poursuit avec la représentation du spectacle Ella diz proposé par le Teatro da garagem. Un dialogue décisif entre une mère et sa fille, dont les surtitres en anglais traduisent l’âpreté et le caractère métaphysique sur fonds de mort maternelle. On pense à Nathalie Sarraute, allez savoir pourquoi. Mais plus souvent à Marguerite Duras en raison de la répétition de la mention « Elle dit » ajoutée aux répliques.

Le retour à l’hôtel se fera de nouveau à pied, en compagnie de Sarah, la coordinatrice anglaise.