GOOD BYE EUROPA -LOST WORDS
DAVIDE CARNEVALI
Second volet du diptyque de l’Europe
Drame politico futuriste en 7 tableaux
Titre original Good Bye Europa. Lost words
Pièce écrite en 2014 avec le soutien du Theatertreffen Berlin
Traduite de l’italien par Caroline Michel 2015
Mise en espace à La Mousson d’été en 2015 par Véronique Bellegarde.
La pièce
Au début du 21ème siècle, le grand projet d’une Europe unie est sérieusement remis en cause.
La crise économique des dernières années a mis à mal un certain modèle de statut social et le concept même de social-démocratie ; les nationalismes ressurgissent et le sentiment d’appartenance à une communauté est en train de se perdre. Un futur existe-t-il pour l’Union Européenne ? Et si oui, lequel? A quoi se destinent les nouvelles générations ? Quelle société leur souhaitons-nous, et que sommes-nous précisément en train de leur préparer ?
Hommes, femmes, animaux et objets sont les protagonistes de cette œuvre, où le discours perd sa fonction rationnelle et montre, au contraire, son inefficacité à décrire le monde, qui s’ouvre désormais à nos yeux comme une réalité informe. Les êtres humains prennent une dimension objective, les animaux une dimension anthropomorphique, et les objets s’animent ; la nature suit un cours aberrant, au sens étymologique du terme : elle dévie du parcours qu’elle devrait logiquement suivre, elle abandonne le droit chemin et se perd dans le chaos. Dans tout ceci, la composante linguistique joue un rôle fondamental car elle cherche elle-même à fuir cette logique, se réfugiant dans l’imaginaire ou le poétique. Le scénario est apocalyptique et on assiste à l’apocalypse du langage : la révélation de sa propre insuffisance et la manifestation de tout ce que les mots ne peuvent décrire.
Avec ce texte se referme le Diptyque de l’Europe. Sweet Home Europa était un texte sur la naissance de l’Europe. En revisitant les mythes bibliques contenus dans les livres de la Genèse et de l’Exode, ce texte parlait d’immigration et d’émigration, du choc des cultures et de la formation de l’identité, mais surtout de la peur de l’ « autre », de ce que l’on ne connaît pas. Lost Words, à l’inverse, est une œuvre sur le déclin de l’Europe. Elle va puiser dans les Evangiles et l’Apocalypse de Jean un substrat mythologique et une certaine symbolique permettant d’interpréter le lien profond entre un système de marché et une vision bien précise du monde qui se sont imposés de façon hégémonique dans la société occidentale contemporaine. Tous deux basés sur la nécessité d’attribuer une valeur (économique, linguistique) univoque et définissable à tous les éléments, dans un système stable capable d’imposer un ordre à la réalité ; et, pour cette raison même, tous deux incapables de la comprendre dans sa totalité.
Lost Words a été écrit avec le soutien du Theatertreffen Berlin, qui, dans le cadre du 35ème anniversaire du Stückemarkt, en 2013, a proposé aux auteurs invités d’écrire une œuvre courte sur le thème « Décadence et déclin de la civilisation occidentale ».
Davide Carnevali
Note de lecture
Cette pièce noire et sans compromis dresse un tableau d’un monde en perte totale de repères, désormais privé de toute éthique morale et déontologique. L’ironie violente de ce texte se niche précisément dans le fait que sa teneur surréaliste – dont l’auteur use et abuse pour le bonheur d’une théâtralité sans cesse renouvelée – résonne pourtant à nos oreilles de façon étrangement familière. On reconnaît dans cette folie où les humains ne sont plus présents au monde que pour son aspect économique, où les animaux travaillent et les objets parlent autour d’un verre, où les anges sont attachés en laisse, l’aberrante réalité dans laquelle nos existences tentent de survivre, et de faire survivre le monde ancien – symbolisé ici par le mythe biblique – sur lesquelles elles s’enracinent. En effet, les paroles de l’Apocalypse de Jean s’insinuent ça et là, comme des ruisselets de sang, comme des paroles pleines et fortes, dans la froideur de la langue de bois anglo-saxonne d’un monde politique si obnubilé par son pouvoir et par lui-même, qu’il se réduit désormais à trois êtres humains.
Par ces ruptures stylistiques, de vocabulaire, mais aussi, de langue, d’écriture – à des courtes répliques économiques et utilitaires, viennent subitement se greffer des passages lyriques emprunts de mythe pur – Davide Carnevali place le lecteur et le spectateur dans la folle schizophrénie que propose le monde contemporain, et plus particulièrement, ceux qui le dirigent. Comme dans Variations sur le modèle de Kraepelin, où le texte lui-même était Alzheimer dans sa structure dégénérative, dans Lost Words, l’Apocalypse a lieu dans sa forme et son contenu, et là encore, c’est le langage lui-même qui échoue, qui rend les armes, puisque à la fin, les objets parlants décrètent qu’ils n’ont même pas de bouche, tandis que le texte funèbre final et totalement « déréglé » dans sa forme, dénonce la perte de l’imagination.
Une pièce noire, aux lueurs caravagesques : celle du rire qui éclate au détour d’un Ours qui danse ivre, celle de la tendresse qui sur fond de cruauté et de froideur, s’illumine d’une dimension précieuse, se palpe, se sent, se ressent, et donne envie, plus que jamais, de la préserver comme une espèce menacée.
Caroline Michel
L’ auteur
Né à Milan en 1981, Davide Carnevali vit et travaille entre Berlin et Barcelone. Sa recherche se concentre sur des modèles de dramaturgie européenne contemporaine qui rompent avec les principes aristotéliciens de cohérence, linéarité chronologique et relation cause à effet. Parallèlement à son activité universitaire, il est également traducteur du catalan et du castillan. Il dirige également des séminaires d’écriture dramatique et de théorie du théâtre ; en 2012 il a été invité en tant que professeur à l’ Institut Universitaire National de l’Art de Buenos Aires.
Depuis 2013 il fait partie du Comité de Dramaturgie du Teatre Nacional de Catalogne; il est par ailleurs membre du conseil de rédaction de la revue catalane “Pausa” et il écrit pour différentes revues italiennes et latino-américaines sur le théâtre allemand, espagnol, catalan et argentin.
En tant que dramaturge il s’est formé avec Laura Curino en Italie, et avec Carles Batlle à la Sala Beckett et l’Institut del Teatre de Barcelone; il approfondit ensuite ses études en Espagne et en Allemagne avec Martin Crimp, Biljana Srbljanović, José Sanchis Sinisterra, Hans-Thies Lehmann, John von Düffel, Simon Stephens, Martin Heckmanns.
Avec Variations pour le modèle de Kraepelin, il a obtenu en 2009 les prix “Theatertext als Hörspiel” au Theatertreffen de Berlin et “Marisa Fabbri” au Premio Riccione pour le Théâtre, et en 2012 le “Prix des Journées de Lyon des auteurs”(pour le texte original et la traduction française).
Son texte Come fu che in Italia scoppiò la rivoluzione ma nessuno se ne accorse a reçu le “Premio Scintille” du Théâtre d’Asti en 2010 et le « Prix Borrello pour la nouvelle dramaturgie » en 2011.
Sweet Home Europa a été créé en Allemagne en 2012 dans une production de la Schauspielhaus Bochum et en version radiophonique par la Deutschlandradio Kultur. En 2013, il a été intégré parmi les 35 auteurs les plus représentés de l’histoire du Stückemarkt Theatertreffen, qui à cette occasion a commandé et subventionné l’écriture de la seconde partie du diptyque, Lost Words. La même année, son texte Portrait d’une femme arabe qui regarde la mer a reçu en Italie le Premio Riccione 2013.
Ses œuvres sont représentées dans divers festivals et saisons théâtrales internationales. Elles sont traduites en allemand, français, espagnol, catalan, anglais, estonien, polonais, roumain, grec, hongrois.
Pièces traduites en français :
Variations sur le modèle de Kraepelin – Editions Actes Sud papiers,
Sweet Home Europa,
Good Bye Europa, Lost words
Portrait d’une femme arabe qui regarde la mer – Editions Actes Sud papiers
L’heure de Religion
La traductrice
Caroline Michel est comédienne, assistante à la mise en scène et traductrice d’italien.
Elle se forme en tant que comédienne au conservatoire de Montpellier puis à l’ESAD à Paris. Elle fait ensuite des études de langue et littérature italiennes à Paris III et se spécialise dans la traduction littéraire. En 2001, elle obtient le prix italien Pier Paolo Pasolini pour son mémoire de maîtrise “Pasolini poète, problèmes de traduction”.
Elle traduit des auteurs de théâtre italiens contemporains tels que Pier Paolo Pasolini, Fausto Paravidino, Letizia Russo, Antonio Tarantino, Francesco Silvestri, Angela Dematté, Stefano Massini, Davide Carnevali, Gabriele di Luca… Plusieurs de ses traductions sont publiées chez l’Arche, Actes Sud et aux Solitaires Intempestifs.
A la demande des metteurs en scène Jean Lambert-Wild et Laurent Fréchuret, elle a réalisé de nouvelles traductions d’Orgie et Calderon de P.P.Pasolini.
Elle est membre du comité italien de la Maison Antoine Vitez qui lui a attribué plusieurs bourses de traduction. Par ailleurs, elle travaille régulièrement pour le surtitrage français de spectacles italiens pour le Festival Face à Face et auprès des compagnies de théâtre de Pippo del Bono, Motus, Emma Dante, Lucia Calamaro, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini…
De Davide Carnevali, elle a également traduit Variations pour le modèle de Kraepelin pour lequel elle a obtenu le prix des Journées des auteurs de Lyon pour la traduction, Sweet Home Europa, retenue par le Bureau des lecteurs de la Comédie Française, Portrait d’une femme arabe qui regarde la mer, L’heure de Religion (courte pièce écrite à la demande de la metteur en scène Véronique Bellegarde)
Résumé en anglais
GOOD BYE EUROPA – LOST WORDS
DAVIDE CARNEVALI
Futuristic politico drama in 7 scenes
Translated from Italian by Caroline Michel in 2015
Lost Words was written with the support of the Theatertreffen Berlin as part of the Stückemarkt’s 35th anniversary in 2013
A futuristic political drama, inspired by the crisis surrounding the building of the European Union. The play describes a world of unregulated capitalism where everything (including humans, animals and objects) is disposable, merchandisable and therefore exhaustible. Men and women are no longer distinguished from each other, and they in turn cannot distinguish themselves from animals. Ukrainian bears who dance drunk on tables are liable to be revoked. Obsolescence afflicts humans in the same way as worn out machines and their tired organs are used to make canned food for humanitarian actions.
Résumé en allemand
GOOD BYE EUROPA – LOST WORDS
DAVIDE CARNEVALI
Futuristisches politisches Drama in sieben Szenen Zweiter Teil des Diptychons über Europa Übersetzung aus dem Italienischen von Caroline Michel 2014 Lost Words wurde mit Unterstützung des Theatertreffens Berlin 2013 verfasst.
Futuristisches Theater über die Abwege der globalisierten Wirtschaft und den Zynismus eines deregulierten Kapitalismus für den alles nutzbar, verwertbar und somit auszubeuten ist. In dieser Welt gibt es keine Unterschiede mehr. Männer und Frauen unterscheiden sich untereinander genauso wenig wie von den Tieren, ukrainische Bären, die betrunken auf den Tischen tanzen, müssen mit der Entlassung rechnen, Menschen und Maschinen veralten gleichermaßen, verdorbene Organe werden zu Lebensmittelkonserven für humanitäre Hilfslieferungen verarbeitet.